Derrière les discours de solidarité, vol des terres agricoles aux plus démunis

Publié le par Patrick Piro - Bernard Grignon




Frappés par la crise alimentaire mondiale, plusieurs pays sont partis à l'assaut de terrains étrangers. D'énormes opérations d'acquisition sont en cours, notamment dans des régions frappées par la faim.


 

Sauf secret bien gardé, c'est à ce jour la plus importante transaction du genre : la Corée du Sud vient de révéler qu'elle va louer 1,3 million d'hectares de terre à ­l'État malgache, dans le but d'y produire des denrées agricoles qui seront rapatriées sur son marché domestique. Les parcelles seront cultivées dès 2009 en palmiers à huile et surtout en maïs. Ce dernier pourrait pourvoir à terme la moitié des besoins de la Corée du Sud, quatrième importateur mondial de cette céréale. La superficie qui sera mise en culture, vaste comme trois départements français, représente plus de la moitié des terres actuellement cultivées de l'île. Le conglomérat Daewoo, qui agit pour le compte du gouvernement coréen, s'empresse d'informer qu'il s'agit de terres non cultivées à ce jour, dont il financerait la mise en valeur à hauteur de 6 milliards de dollars d'investissement en infrastructures - mise en culture, routes, port, etc. Les techniciens et l'encadrement viendront de Corée et d'Afrique du Sud, avec les méthodes et la technologie de l'agriculture industrielle dans leurs bagages. Comptant sur la création de 70.000 emplois locaux, principalement d'ouvriers agricoles, l'État malgache se contenterait de ces contreparties, renonçant même à percevoir un loyer en bonne et due forme pour la terre, selon le Financial Times, qui révèle l'accord [1]. Le bail serait signé pour 99 ans.


Depuis longtemps, les industriels du secteur agroalimentaire vont débusquer des affaires sous toutes les latitudes. Qu'il s'agisse de prendre le contrôle d'exploitations agri­coles ou, plus récemment, de profiter de l'essor du marché très prometteur des agrocarburants, les investisseurs (occidentaux, surtout) ont pris pied dans les filières de production de céréales, de légumineuses, de plantes énergétiques, etc., se portant acquéreurs de terres, si nécessaire. Mais, avec la crise des stocks alimentaires déclenchée l'an dernier, amplifiée par la spéculation financière, c'est à une vague d'investissements d'un genre tout à fait nouveau que l'on assiste. Confrontés à une hausse vertigineuse des prix internationaux, ainsi qu'au blocage d'exportations de la part de pays producteurs redoutant la pénurie pour leur propre population (en riz notamment), certains pays ont entrepris de changer radicalement de stratégie afin de réduire l'insécurité sur leurs approvisionnements : plutôt que d'importer des aliments sur un marché mondial devenu aussi peu fiable, les produire pour le compte de l'État là où c'est possible.


Depuis environ un an, on assiste ainsi, dans des dizaines de pays du monde, à une accélération frénétique de la quête de ­bonnes terres arables à louer ou à acheter. Aux premiers rangs des démarcheurs : des pays d'Asie et du Moyen-Orient, en déficit de production alimentaire ou de place pour cultiver, mais aux caisses remplies. Selon l'ONG internationale Grain, la Corée du Sud posséderait déjà 2,3 millions d'hectares (ha) hors de son territoire (acquisitions ou baux à long terme) [2]. La Chine contrôle 2 millions d'hectares agricoles, et le Japon 300.000 ha. Certains pays du Golfe sous climat désertique, particulièrement dépendants des importations alimentaires, ont réagi brutalement à la nouvelle donne. Tournant le dos aux marchés, ils ont décidé d'établir des filières de production entièrement sous leur contrôle. L'Arabie Saoudite détient ainsi au moins 1,6 million d'hectares, suivie par les Émirats arabes unis (1,3 million ha). (...)


 

Cette nouvelle frontière agraire, qui progresse à grande vitesse, sème des bombes à retardement. (...)



Notes :

  1. 19 novembre 2008.
  2. Grain vient de publier un rapport sur la mainmise des terres agricoles dans le monde. Voir le site www.grain.org.
  3. Le Monde, 24 septembre 2008.

Patrick Piro

 


Politis (France), le 04-12-2008 (Intégralité de l'article sur http://www.infosdelaplanete.org/)

 

 

 

 

 

 

A propos, qui a dit que l'on allait maintenant "moraliser le capitalisme" ?


(comme si le capitalisme avait quoi que ce soit à faire d'une quelconque morale !)

Publié dans SOCIETE et Justice

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