« En France, l’injustice règne partout »

Publié le par Hernando Calvo Ospina - Jacques Gaillot

Interview de Mgr Jacques Gaillot : « En France, l’injustice règne partout »

 

Très peu de Français connaissent le nom de la plus haute autorité de l’Eglise catholique du pays. Mais la plupart savent qui est Mgr Jacques Gaillot.

Notre entretien commence à la Maison mère des Spiritains, à Paris, son « point d’ancrage », comme il aime l’appeler. Nous le terminerons dans un petit restaurant à quelques pas de là, où les yeux du propriétaire et des autres convives brillent d’admiration en le reconnaissant. Il les salue avec une immense humilité, presque timidement. Avec un regard paisible et sur un ton serein, sans belles phrases, il dit ce qu’on aimerait entendre dans la bouche de beaucoup de politiques.

Né le 11 septembre 1935 à Saint-Dizier en Champagne, en 1957 il dut arrêter le séminaire pour partir effectuer son service militaire en Algérie, en pleine guerre de libération contre le colonialisme français. (…)


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Comment voyez-vous la situation sociale et économique de la France d’aujourd’hui ?


Je juge une société en fonction de ce qu’elle fait par rapport aux plus démunis, aux plus déshérités. Evidemment je ne peux porter qu’un jugement sévère, parce que la France n’est pas respectueuse du droit et de l’être humain.

Je trouve que le problème n°1, c’est l’injustice qui règne partout. Les gens au pouvoir n’investissent pas pour les pauvres. Nous avons un gouvernement qui favorise les riches, à tous les niveaux. Et il y a trois millions de gens pauvres en France !

J’ai découvert que beaucoup de maîtres-chiens qu’on croise dans les stations de métro de la région parisienne sont des Africains sans papiers. Ils nous protègent, pourtant ils vivent dans la peur d’être arrêtés en tant qu’illégaux. Comment est-ce possible que les travailleurs sans papiers en soient réduits à n’être que des sous-citoyens alors qu’ils paient des impôts et qu’ils cotisent à la sécurité sociale, directement ou par le biais des entreprises qui les emploient ? Beaucoup de nos concitoyens pensent que ces gens profitent du système, sans savoir qu’ils reçoivent chez eux le formulaire des impôts sur le revenu. Ou bien, ils sont reconnus par l’administration mais comme ils ne sont pas en règle, ils ne peuvent bénéficier d’aucune aide sociale. C’est un racket de la part de l’Etat !

Et l’Eglise dans tout cela ? Prenons comme exemple ce qui s’est passé le 23 août 1996 quand presque mille CRS et autres policiers ont forcé à coups de haches les portes de l’Eglise Saint Bernard de la Chapelle à Paris pour en faire sortir de force trois cents étrangers en situation irrégulière. J’étais en colère et scandalisé, car l’évêque avait demandé leur expulsion. Et quand on expulse des êtres humains qui demandent protection dans une église, on désacralise cette église. Et, malheureusement, cela continue.

Que se passe t-il avec les étrangers illégaux ? On les met en centres de détention. Et le traitement qu’on donne là-bas est digne d’un camp de concentration. Inhumain ! Regardez ce qui se passe dans les prisons qui sont saturées. J’étais l’autre jour au Trocadéro où se déroulait une cérémonie toute simple pour les morts de l’année en prison. Il y a à peu près 1 suicide tous les 3 jours. C’est énorme ! Leur seul horizon, c’est le suicide. On n’avait jamais vu ça. Par rapport à l’Europe, la France détient le record des suicides par pendaison en prison.

 


Face à cette terrible situation, où se situe le discours du gouvernement sur la crise économique ?


Dans cette crise économique ce ne sont pas les riches qui sont touchés, mais les plus pauvres. Pourquoi était-on contre la loi des régimes des retraites qui a été votée ? Parce qu’elle favorise les plus riches et pénalise les pauvres. Regardez tout ce qui se fait au plan de la réforme de santé : maintenant, il y a des gens qui n’osent plus aller chez le médecin, chez le dentiste ou chez l’ophtalmologue ; ils y vont quand ils ne peuvent pas faire autrement. Donc on se passe du médecin le plus possible, et puis quand on y va, c’est trop tard. Il y a des acquis sociaux qui s’effritent petit à petit dans tous les domaines.

Et la crise malmène les familles. Quelqu’un qui avait commencé à investir pour acheter une maison, et qui tombe au chômage, puis qui ne trouve plus de travail, alors, il ne peut plus payer, et il est obligé de revendre. Le logement social n’est pas une priorité nationale, pas une priorité politique, parce que les gens du pouvoir sont bien logés. On construit très peu de logements sociaux, donc les gens ne savent plus où aller. On laisse les gens dehors, alors qu’il y a beaucoup d’immeubles vides dans Paris.

C’est le grand froid d’hiver, alors le gouvernement dit : on a des plans. Donc on ouvre un gymnase, on ouvre ceci, on ouvre cela pour accueillir quelques centaines de gens. Mais ce n’est pas de plans de grand froid dont on a besoin, c’est de logements dignes. On est dans une grande pénurie, on laisse des gens dans la difficulté, ils meurent de froid dans la rue. Ce n’est pas croyable ! Et comme disait Victor Hugo : "On fait la charité quand on n’a pas su imposer la justice". Et ce n’est pas de la charité dont on a besoin, c’est de la justice. Parce que la justice va aux causes, la charité va aux effets. Alors je ne dis pas qu’il ne faut pas aider des gens, avec les Restos du Cœur, la soupe populaire. Il faut aider, il y a des urgences. Moi, le soir de Noël, on m’invite à donner une soupe chaude pour des gens qui n’ont rien. Je le fais, mais je n’ai pas bonne conscience quand même, vous voyez ? Il y a des causes structurelles qui maintiennent les gens dans l’injustice, et c’est là-dessus qu’il faut se battre.

Le plus triste est que les gens s’habituent à l’injustice. Il faut retrouver une capacité d’indignation pour ne pas s’habituer. Et je dis : Alors, indignez-vous !

L’injustice, elle est partout en France. Il y a des oasis de richesses, de luxe, et puis des ghettos de misère. En France, il y a une violation flagrante des Droits de L’Homme. Donc il faut se battre pour faire respecter les droits des gens. (…)

 


Monseigneur Gaillot, pour terminer, deux dernières questions : Comment vous considèrent les autres dignitaires de l’Eglise en France ? Et, en tant que citoyen et être humain, voyez-vous une alternative face à la situation sociale de la France ?


Mes rapports avec les autres évêques sont en général polis, même si beaucoup m’ignorent. Ils ne me font parvenir aucun document de la Conférence Episcopale, et je ne suis plus invité à l’assemblée annuelle de Lourdes. Je ne crois pas que Rome veuille me réduire au silence, ce qui serait un châtiment extrême. Ce n’est pas confortable parfois, mais ce qui est confortable c’est d’être en paix avec sa conscience, de dire ce qu’on pense, de dénoncer qu’on n’accepte pas cet état de choses.

Pour la seconde question… J’ai espoir dans les hommes et les femmes. Nous allons continuer à avancer. Je crois qu’il y a toujours des sursauts citoyens. Il y a heureusement un tissu associatif, un tissu de solidarité qui me réjouit. Il y a une santé dans le réseau de citoyens, et je vois tous les combats qui sont nés, c’est formidable. Chacun doit trouver le chemin où il peut lutter avec d’autres.

L’unité : oui, c’est ça qui peut sauver la démocratie et les droits de l’homme, et c’est ce qui me donne de l’espoir .


 

Interview réalisée par Hernando Calvo Ospina
http://hcalvospina.free.fr/spip.php...

 

 

Intégralité de l’interview à lire sur : http://www.legrandsoir.info/Interview-de-Mgr-Jacques-Gaillot-En-France-l-injustice-regne-partout.html

 

Publié dans Ils l'ont DIT ou ECRIT

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